Sortie de crise

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COVID-19 : quelles actions à moyen terme pour le redressement de l'agriculture française ? Les propositions des Chambres d’agriculture

La crise sanitaire actuelle provoque une crise économique d’ampleur majeure. Le FMI et la Banque Mondiale ont confirmé que l’économie mondiale connaîtrait une grave récession sur l’année 2020, bien plus profonde (– 3 %) que celle de 2009, lors de la crise dite des subprimes (– 0,4 %), qui fut importante et dévastatrice, en particulier sur l’emploi.

Si l’agriculture est un secteur relativement épargné, certains secteurs agricoles subissent des répercussions fortes : horticulture, pépinières, viticulture, pommes de terre, agritourisme, centres équestres. L’urgence est de permettre à ces exploitations de se redresser.

Sommaire


Reconquérir notre souveraineté alimentaire et relocaliser la production

Cette crise est un révélateur des limites de l’interdépendance des chaînes de valeur à travers le monde. Les consommateurs ont repris conscience de l’importance de bénéficier d’un accès à une alimentation de qualité. L’origine France et les circuits courts sont mis en avant et les liens entre consommateurs sont renforcés. A cela s’ajoute le bilan environnemental des productions importées.

L’agriculture française est réapparue comme une pièce essentielle de l’économie du pays. Le mot de souveraineté alimentaire refait surface après avoir été considéré pendant des décennies soit comme acquis, soit relégué au second plan, notamment à l’échelle de l’Union européenne.

Relocaliser une partie de notre production agricole signifie promouvoir une autonomie alimentaire de nos territoires dans un rayon restreint (jusqu’à 100 km). Plusieurs études ont ainsi montré que le taux d’autonomie alimentaire des 100 plus grandes aires urbaines n’atteignait que 2,1% en moyenne.
La relocalisation de la production de notre alimentation permettrait également d’augmenter la valeur ajoutée créée en amont et en aval du maillon de la production agricole.
L’objectif de relocalisation de l’alimentation est ainsi de taille pour faire en sorte que l’agriculture ait une place importante dans le plan de relance de l’économie.

Les Chambres d’agriculture présentent différentes mesures qui doivent s’inscrire dans une stratégie européenne de souveraineté alimentaire et de relocalisation de la production agricole qui peut être déclinée dans les Plans Stratégiques Nationaux de chaque Etat-membre.

Développer les secteurs déficitaires et gagner en compétitivité pour la filière fruits et légumes

  • Valoriser les qualités intrinsèques d’un produit, qui font partie intégrante de sa compétitivité, en réponse aux attentes des consommateurs
  • Créer/renforcer l’étiquetage des produits (des expériences vont en ce sens au Danemark sur les viandes)
  • Organiser différemment les filières, pour établir des objectifs communs aux acteurs, en s’appuyant sur des règles européennes rénovées du droit de la concurrence en matière de concertations entre opérateurs
  • Alléger, lorsque cela est possible, les charges des exploitations agricoles productrices de fruits et de légumes, sur la main d’oeuvre notamment
  • Harmoniser à l’échelle européenne ces charges (y compris les salaires), mais aussi les réglementations
  • Modifier les règles de la commande publique (appels d’offre) pour permettre d’y introduire des critères de proximité dans les approvisionnements
  • Aider le développement de projets de serres et de vergers
  • Mettre en valeur l’origine France des Fruits et légumes transformés et vendus en restauration hors domicile
  • Aider à l’investissement dans les outils de transformation (légumerie)
  • Fixer à zéro les limites maximales de résidus (LMR) de phytosanitaires interdits en France pour les fruits et légumes importés
  • Tabler sur la préservation du niveau de pouvoir d’achat des consommateurs, lesquels sont prêts à payer un peu plus cher les produits estampillés France.

Développer les secteurs déficitaires et gagner en compétitivité pour les protéines végétales

  • Promouvoir la production de luzerne, de céréales et d’oléagineux sur la ferme pour la consommation des animaux
  • Maintenir des dispositifs d’aides à la production de protéagineux (momentanément aides couplées pour garantir les volumes et consolider les filières), afin de tendre vers la souveraineté en matière d’alimentation animale, dans un contexte de transition agroécologique
  • Renforcer les utilisations de biocarburants pour les utilisations non routières, chauffage, batellerie, pour développer les coproduits (tourteaux) utilisable en alimentation animale.

Promouvoir une territorialisation des approvisionnements alimentaires et l’agritourisme

  • Déployer des projets agricoles et alimentaires territoriaux, assortis de partenariats entre producteurs, transformateurs et collectivités territoriales, spécifiant un cahier des charges précis, stipulant l’origine locale ou nationale des produits, selon une synergie entre les acteurs
  • Insérer dans les programmes éducatifs des journées portes ouvertes dans les exploitations, pour accueillir les élèves, afin d’expliquer le processus de production et les liens entre agriculture et alimentation, et organiser des dégustations
  • Plus largement aider au développement du tourisme rural dans les fermes (hébergements, loisirs, restauration) comme outil de valorisation du patrimoine alimentaire local et de création d’emplois dans les exploitations
  • Modifier les règles de la commande publique (appels d’offre) pour permettre d’y introduire des critères de proximité dans les approvisionnements
  • Instaurer annuellement des indicateurs d’emplois directs et induits par la production agricole, dans chaque région
  • Etendre l’objectif de 50 % d’approvisionnements de produits de qualité ou locaux dans la restauration collective publique au secteur privé.

Promouvoir les circuits courts et les produits fermiers

  • Lever/assouplir les freins réglementaires pour la production et la transformation de produits sur la ferme, ex. dérogations sur les abatages
  • Définir règlementairement ce qu’est un produit fermier sur différentes catégories de produits (au-delà des oeufs, de la volaille et des fromages)
  • Règlementer l’étiquetage des produits fermiers sur l’origine de leur composition
  • Inciter les collectivités locales à mettre à disposition des producteurs ou de proposer à des loyers modérés des locaux inutilisés pour la vente et la distribution de leurs produits
  • Déployer la 4G et les équipements informatiques nécessaires dans les zones rurales pour s’appuyer sur ces nouveaux canaux de distribution
  • Diffuser en libre accès au grand public un annuaire et une cartographie des producteurs fermiers des producteurs, des drives et des magasins en ventes directes de produits fermiers
  • Imposer aux grandes enseignes des règles de référencement adaptées aux produits fermiers en circuit court dans leurs linéaires et dans leurs espaces de promotion et fixer un pourcentage minimum de ces produits pour chaque magasin.

Préserver les facteurs de production et le foncier

La proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale de la sénatrice Françoise Laborde avait été rejetée lors de son examen au Sénat en décembre 2019. Ce texte proposait notamment de sanctuariser les terres agricoles en l’intégrant le foncier agricole comme « secteur d’activité d’importance vitale » (SAIV) dans la loi de programmation militaire et présentant au parlement une loi de sauvegarde du foncier agricole.

La souveraineté alimentaire passe donc par cette préservation de ce capital naturel, mais également par l’autonomie des moyens qui permet de valoriser ce capital, donc les facteurs de production.

  • Inscrire le foncier agricole au SAIV et inscrire dans la loi que la SAU ne descende pas en dessous de 50 % du territoire métropolitain
  • Inscrire le catalogue officiel des semences du GNIS au SAIV
  • Mettre en place des pôles agro-industriels pour une relance de la production d’agroéquipements de haute technologie en France.

Ne pas opposer souveraineté alimentaire et exportations agricoles

La crise sanitaire actuelle met également en relief des tensions sur les échanges alimentaires, avec des risques de rupture d’approvisionnement pour certains pays.
L’Europe, et singulièrement la France jouent un rôle important dans les équilibres alimentaires mondiaux.

La relocalisation de la production et la souveraineté alimentaire doivent s’inscrire en complémentarité avec les enjeux et stratégie d’exportations des produits agricoles français.


Investir dans le secteur agricole pour le pérenniser et dynamiser l’économie

Mettre en place un vaste plan de modernisation des structures agricoles, par le biais d’investissements massifs constituerait un levier du redressement de l’agriculture française, dans la perspective de l’après-crise. Ce plan pourra aussi être élargi à l’accompagnement des jeunes installés, afin qu’ils accèdent à l’outil de production avec un minimum de risques, allant dans le sens :

  • d’innovations de procédés et organisationnelles
  • des nouvelles technologies
  • d’exigences climatiques
  • de qualité et de l’innocuité des produits, de la valeur ajoutée sur les territoires
  • de connexion avec la recherche agronomique pour l’amélioration des cultures et de l’élevage.

Partant du principe que l’investissement des entreprises constitue l’un des facteurs explicatif des cycles économiques, la phase actuelle de la crise économique nécessite d’associer étroitement le secteur agricole à la sortie de crise par un programme d’investissements productifs, afin d’accélérer cette sortie de crise…

La formation d’une nouvelle vague de capital productif dans les exploitations agricoles est en phase avec la nécessité de répondre aux enjeux d’une alimentation de qualité, du climat, de l’emploi…
Ce capital ne peut se former instantanément. Il demande des délais de réaction pour fabriquer les outils, les machines, et est ensuite porteur d’effets d’entraînement sur l’amont, agro-industrie du machinisme/agrofournitures notamment un plan d’investissement en agriculture doit, par conséquent, être défini rapidement pour réduire ces délais de réaction.

Du côté des pouvoirs publics et des organismes financiers, les aides doivent être massives, sachant que tout investissement productif, engendrant à terme de la valeur ajoutée, sera couvert par la création de richesses et par la fiscalité.
Le volet agricole d’un plan d’investissement pour la reprise économique pourrait servir deux grands objectifs :

  • La relocalisation de la production au travers des enjeux de transformation, de conditionnement des produits, de commercialisation et de synergie territoriale.
  • Les défis du changement climatique et des aléas climatiques au travers des investissements nécessaires à la transition agroécologique, à la prévention contre les risques climatiques, à la sécurisation des approvisionnements en eau.

Les investissements du secteur agricole, en faisant intervenir des entreprises pour les réaliser, permettent de dynamiser tout un tissu d’activités et concourent au maintien des emplois, notamment en milieu rural.


Développer l’emploi dans le secteur agricole

Le secteur agricole fait appel à une main d’oeuvre extérieure importante et en proportion croissante, une main-d’oeuvre constituée d’une part de salariés permanents, d’autre part de saisonniers répondant à des pics de travail localisés dans le temps. L’agriculture représente ainsi une opportunité d’emplois salariés de plus en plus grande. Les salariés agricoles sont relativement jeunes et moins qualifiés que la moyenne des salariés, d’après l’étude Actif’Agri.

Développer l’emploi dans le secteur agricole, c’est développer des perspectives d’activité pour des catégories de population qui sont aussi celles les plus touchées par le chômage.

La relocalisation, de l’alimentation et des circuits de distribution, pourrait représenter un moteur supplémentaire pour la création d’emplois. En effet, la diversification des activités en agriculture se traduit par l’emploi d’une main-d’oeuvre plus importante, a fortiori si l’activité de diversification consiste à commercialiser toute ou partie de la production en circuits courts, selon l’étude Actif’Agri.

Le secteur agricole est également à l’origine d’emplois induits dans les territoires ruraux, de par l’implantation d’un tissu économique en amont et en aval. Les industries agricoles alimentaires ont, elles-mêmes, des effets induits significatifs sur l’emploi dans les territoires où elles s’implantent : un emploi dans les IAA est lié à 2,4 emplois dans le bassin d’emploi considéré.

De même, les chaînes de valeur longues et internationales sont également sources d’emplois. L’exportation de produits agricoles et agroalimentaires contribue à l’emploi direct dans les secteurs agricoles et agroalimentaire mais aussi au développement d’activités agroalimentaires indirectes, notamment pour les services aux entreprises, activités de logistique, de transport et de stockage, de communication (étude ActifAgri).

La crise actuelle a révélé la dépendance de l’agriculture à la main-d’oeuvre étrangère mais également la mobilisation forte de personnes actuellement sans activité, notamment du fait de la situation, pour répondre à l’appel des agriculteurs. Aussi, le secteur agricole apparaît de manière plus prégnante aujourd’hui comme un véritable gisement d’emplois et pourrait en cela constituer une réponse à la hausse du chômage, conséquence probable de cette crise. En outre, comme cela a été démontré lors de la crise financière de 2008-2009, le secteur agro-alimentaire, pourrait une nouvelle fois contribuer à la résilience des territoires ruraux durant cette crise. La revalorisation des métiers agricoles pourra aussi être envisagée. Nous avions formulé des propositions sur ce point lors des EGA.

Quelles pistes pour développer l’attractivité des métiers de l’agriculture ?

  • Promouvoir l’emploi agricole, de la filière bois et de l’agroalimentaire et améliorer les conditions d’emploi et de travail dans ces métiers
  • Réduire les freins au recrutement en agriculture, notamment par la promotion de la mutualisation de l’emploi (groupement d’employeurs…)
  • Adapter les conditions d’emploi aux spécificités agricoles, avec plus de souplesse dans les horaires pour tenir comptes des pointes de travail inhérentes à l’activité agricole, et une réflexion de fond sur le statut et la formation des saisonniers
  • Communiquer sur les métiers de la filière et les besoins des entreprises en main-d’oeuvre
  • Développer l’observatoire des métiers en agriculture (rassembler et mutualiser offres et demandes d’emplois des TPE sur les territoires quel que soit le secteur)
  • Revaloriser les métiers agricoles

Pour pérenniser ce potentiel d’emplois, il faut réussir le changement générationnel d’ampleur qui s’annonce dans le secteur agricole. Dans le cas contraire, le risque à court terme est de voir disparaître un grand nombre d’exploitations sans repreneur. Les enjeux de transmission et d’installation sont donc primordiaux.


Les leviers politiques, réglementaires et financiers

L’enjeu de souveraineté alimentaire pose néanmoins la question des leviers existants ou à inventer en termes réglementaires et de politiques publiques (critères de localisation en resto co, indications d’origine, etc.).

Il interroge, notamment :

  • les règles du commerce mondial et les accords bilatéraux de libreéchange, qui vont a priori à l’encontre d’une ambition de relocalisation de la production avec par exemple, la fixation à zéro des limites maximales de résidus (LMR) de phytosanitaires interdits en France pour les produits importés
  • les règles du marché unique européen, et la politique de la concurrence qui en est indissociable, par exemple les règles des marchés publics au regard de la localisation des produits
  • la prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques dans les échanges
  • la PAC qui affiche depuis sa création l’enjeu de souveraineté alimentaire comme prioritaire mais dont les outils mis en place pour y répondre pourraient être remis en cause en particulier sur les régulations de production. Les difficultés actuelles à mobiliser les mesures exceptionnelles de régulation telles que l’article 222 illustrent le besoin de revoir ces outils.

Répondre à cet enjeu demandera la mobilisation de tous les moyens financiers disponibles. La crise actuelle, en rappelant l’importance stratégique du secteur agricole, devrait ainsi se traduire par une sanctuarisation, voire un renforcement, du budget européen dédié à l’agriculture, à travers le futur budget alloué à la PAC, mais aussi des budgets nationaux et régionaux. La place du secteur agricole dans les CPER devrait, en ce sens, également être réexaminée.